18/07/2012
La cuisine comme sujet d’étude
Designeuse
culinaire Françoise Laskar prend la cuisine très au sérieux et lancera à
la rentrée un master en food design à l'Académie royale des Beaux-Arts
de Bruxelles.
Sociologue
de formation mais designeuse culinaire reconnue depuis 25 ans (elle a
bossé un peu partout en Europe et donne des cours aux Etats-Unis), la
Belge Françoise Laskar se réjouit de voir enfin la cuisine se frotter à
l’art. “Depuis quelque temps, on commence à penser à ce que nous faisons quand nous mettons un
aliment dans notre bouche. La nourriture est intrinsèquement liée à
l’existence mais nous n’en prenions pas réellement conscience jusqu’il y
a peu. Plus récemment encore, on s’est rendu compte que l’alimentation
ne pouvait être appréhendée seule, qu’elle était liée à d’autres
domaines : culture, histoire, écriture…”
A la rentrée, Mme Laskar
lancera un master en food design au sein de l’Ecole supérieure des Arts
de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Une initiative bien
en phase avec la vogue de la cuisine qui submerge nos sociétés depuis
une dizaine d’années. “Tant mieux si l’on
retrouve du plaisir en cuisine, si l’on s’intéresse à bien manger.
Peut-être va-t-on manger moins de saletés, s’intéresser à l’origine des
aliments, avoir une attitude plus responsable par rapport à la planète.
Mais cette surmédiatisation a un revers : on raconte à tout le monde
qu’il faut faire des choses exceptionnelles en cuisine. Je suis atterrée
quand je vois ces candidats du ‘Dîner presque parfait’ qui, au lieu de
préparer des plats simples et savoureux, essayent de faire un Pollock
dans l’assiette. Toutes les modes ont des dérives mais au moins cela
touche tout le monde. La gastronomie n’est plus seulement réservée à une
élite…”
Il y a quelques
jours, les élèves du cours de food design des Beaux-Arts présentaient au
centre Dexia leur travail de fin d’année : un défilé de robes et
costumes revisitant les spécialités bruxelloises (stoemp, moules-frites,
chocolat…) qui n’auraient pas déplu à Lady Gaga, qui avait fait
sensation il y a quelques mois avec sa robe en steak ! L’occasion de
donner, aussi, un avant-goût du programme du futur “Executive Master
Food Design”. “Il y a quelques années,
l’Académie m’avait contactée pour donner un cours à option sur le food
design, ouvert à tous les élèves de l’Académie, explique Mme Laskar. Et
il y a un an et demi-deux ans, j’ai proposé ce master en food design,
le premier au monde avec celui de Reims. Mais ce dernier est uniquement
ouvert aux bacheliers en design alors que moi, j’ai voulu qu’il soit
ouvert à tous, avec un système de dérogations.”
Les cours seront
ceci dit de niveau universitaire. Le gros du cursus sera occupé par un
labo en art culinaire, donné dans les nouvelles cuisines et par les
chefs du Ceria, et par un “labo en création culinaire et food design” (2x75 heures). Tandis que des invités de marque viendront donner des “master-classes” :
des étoilés comme Pierre Wynants (ex-Comme chez soi), les frères Folmer
(Couvert couvert) ou Sang-hoon Degeimbre (L’Air du temps), le
chocolatier français Patrick Roger, le“food stylist”parisien
Stéphane Bureaux ou encore les designers espagnols Xavier et Esther
Vega, qui travaillent avec Ferran Adrià (El bulli). “Nos
étudiants viennent de la communication, de la sociologie… Il est clair
que si on veut étudier sérieusement l’alimentation, il faut savoir de
quoi on parle. On aura par exemple un cours de cuisine moléculaire,
tandis que David Martin de La Paix pourrait venir nous parler de la
cuisine des abats…”
Mais les cours ne
seront pas que pratiques, ils se feront pluridisciplinaires pour aborder
tous les sujets : écriture culinaire, science et nourriture,
anthropologie et sociologie de l’alimentation, histoire des boissons,
esthétique culinaire, design… Tandis que les étudiants devront également
suivre des cours généraux (histoire de l’art, histoire du design…) et
participer à un atelier artistique au sein de l’Académie (dessin,
sculpture, photo, peinture, tapisserie…). Enfin, la seconde partie de
l’année sera consacrée aux stages et à l’écriture d’un mémoire.
Cette solide
formation a déjà séduit 12 étudiants (sur 15 maximum). Ou plutôt 12
étudiantes, dont 4 Belges, les autres venant de Suisse, du Japon,
d’Estonie, d’Allemagne… Pour l’instant autofinancé sans aide de
l’éducation nationale par le minerval des étudiants (1 500 € pour les
Belges, 6 500 € pour les étrangers), ce master d’un an débouchera sur un
certificat. Mais ce ne sont pas les débouchés directs qui intéressent
les étudiants. “Ce sont tous des gens passionnés par la cuisine ou en tout cas par l’aliment, explique Mme Laskar. Qu’ils
viennent du design, de la communication ou de l’histoire, ils ont envie
de parfaire leur formation et s’orienter vers l’alimentation. Ils ont
compris qu’il y a des nouveaux métiers qui se créent, comme les
consultants auprès des chefs ou de l’industrie agroalimentaire…”